Stevens-Johnson et Lyell : Les combats des victimes d’une grave allergie médicamenteuse

Avec 120 à 150 cas par an, la nécrolyse épidermique, également appelée « syndrome de Stevens-Johnson » quand moins de 10% de la surface corporelle est touchée ou « syndrome de Lyell » (ou nécrolyse épidermique toxique) au-delà de 30% est, pour la majorité des cas, une forme grave d’allergie médicamenteuse rare et fatale pour 25 à 30% des patients. Il existe, dans le cadre du Plan Maladies Rares, un centre de référence national pour ce syndrome, coordonné par l’hôpital Henri Mondor à Créteil et comportant plusieurs sites répartis sur le territoire, où sont orientés les malades dès que le syndrome est suspecté. L’optimisation des soins spécialisés a permis globalement une réduction de la mortalité à 10% dans le service de dermatologie de l’hôpital Henri Mondor.

La maladie se déclare dans les 4 à 28 jours suivant la première prise d’un nouveau médicament. Dans les premières heures, les symptômes étant assez banals, la maladie est difficile à diagnostiquer, puis les symptômes deviennent très nets en quelques jours, avec une destruction plus ou moins sévère de la peau et des muqueuses et parfois une altération des organes internes. Cette phase dite « aiguë » dure 2 à 3 semaines durant lesquels le pronostic vital peut être engagé lorsque de trop nombreuses parties du corps sont touchées, notamment les poumons, le tube digestif, les reins, ou lorsque des infections graves comme des septicémies compliquent l’évolution du fait de la perte de la couche superficielle de la peau (épiderme). La destruction de la peau occasionne des douleurs parfois importantes. La cicatrisation survient en général à partir du 10e jour environ, et se fait progressivement, plus lentement pour les muqueuses que pour la peau. Après la phase aiguë, 95% des survivants conserveront des séquelles plus ou moins invalidantes. La principale séquelle concerne les yeux qui peuvent avoir été touchés jusqu’à provoquer une grave baisse d’acuité visuelle voire une cécité.

INTERVIEW DU DOCTEUR SASKIA ORO, DERMATOLOGUE AU CHU HENRI MONDOR À CRÉTEIL (site coordonnateur du centre de référence)

66 Millions d’IMpatients : Comment se passe le déclenchement de la maladie ? Est-elle difficile à diagnostiquer ?

Il s’agit la plupart du temps d’une allergie médicamenteuse et, dans l’immense majorité des cas, c’est une maladie qui survient dans une situation où l’on prend un médicament pour la première fois.

Dans les premiers jours, la maladie est difficile à identifier puisque le début de la maladie est souvent peu spécifique et se manifeste par de la fièvre, des douleurs au niveau de yeux, des maux de gorge et peu de traces sur la peau les deux premiers jours. À ce stade, le diagnostic est quasiment impossible à établir. Quand les symptômes s’aggravent, les patients vont alors aux urgences. C’est une maladie rare mais de présentation assez caractéristique une fois les symptômes cutanés et muqueux installés, et les services d’urgence savent aujourd’hui bien la reconnaître. Ils sollicitent ensuite notre service au CHU Henri Mondor à Créteil, qui est centre de référence pour cette maladie. Dès que la maladie est suspectée, il faut alors arrêter immédiatement le ou les médicaments qui pourraient l’avoir déclenchée.

Quelles sont les spécificités de la prise en charge au centre de référence de la maladie à Henri Mondor ?

Dans notre service à Créteil, nous avons une structure avec deux lits dédiés à la prise en charge de ses patients, dans des chambres particulièrement équipées aux besoins propres à cette maladie. Nous sommes par ailleurs en contact étroit avec le service de réanimation qui est habitué à la prise en charge de ces patients et nous avons beaucoup travaillé sur ce que nous appelons les soins de support, qui concernent tout particulièrement les soins de la peau, des yeux, des muqueuses, le traitement des infections, etc. A Henri Mondor, des équipes de dermatologie et de réanimation qui travaillent sur cette maladie depuis de très nombreuses années ont donc développé une prise en charge optimale. Les patients en phase aiguë restent dans notre service au moins 3 semaines, parfois plus selon la gravité de leur état.

À la suite de la phase aiguë, en tant que centre de référence, nous suivons également les patients pour soigner les conséquences de la maladie. Nous avons fait beaucoup de progrès ces dernières années pour mettre en place un processus bien cadré de la prise en charge des séquelles. La première année, nous revoyons les patients pour un suivi pluridisciplinaire tous les 2 à 3 mois puis nous les voyons selon leurs demandes et leurs besoins pendant une durée de parfois plusieurs années.

Concernant les séquelles aux yeux, qui sont l’un des principaux problèmes pour les patients (allant de la sécheresse oculaire à la baisse grave d’acuité visuelle), nous travaillons avec le CHU de Rouen qui est membre du centre de référence de la maladie et est le site ophtalmologique le plus spécialisé en France pour la prise en charge des patients avec séquelles oculaires graves. Après la phase aiguë, nous adressons donc les patients à Rouen ou à l’hôpital Bichat où une ophtalmologiste de Rouen vient consulter une fois par mois. Enfin, un réseau d’ophtalmologistes référents, associés aux différents sites du centre de référence un peu partout en France, travaillent également en collaboration avec les équipes de Rouen et connaissent bien les spécificités des séquelles oculaires de la maladie. Nous avons donc développé un maillage territorial assez satisfaisant, même s’il est toujours perfectible, par rapport à la prise en charge ophtalmologique spécifique de nos patients.

Les autres séquelles fréquentes sont les séquelles psychologiques : anxiété, cauchemars, peur des médicaments, difficultés à reprendre une vie socio-professionnelle ou familiale normale, etc. Un suivi prolongé par un psychologue et/ou un psychiatre est parfois nécessaire.

Il n’existe à ce jour pas de traitement de fond ayant fait la preuve irréfutable de son efficacité pour accélérer la cicatrisation cutanée et muqueuse et ainsi réduire le risque des complications de la phase aiguë et les séquelles.

INTERVIEW DE SOPHIE LE PALLEC, PRÉSIDENTE DE L’ASSOCIATION AMALYSTE, ASSOCIATION DÉDIÉE AUX SYNDROMES DE STEVENS-JOHNSON ET DE LYELL

66 Millions d’IMpatients : Comment cette maladie est-elle vécue par les malades ?

Sophie Le Pallec : C’est comme un tsunami, quand on est en mer, on ne se rend pas forcément compte de ce qui se trame et, quand la vague arrive sur les terres, c’est terrible.

La vie après un tel accident est bouleversée. Il faut apprendre à vivre avec les cicatrices au niveau de la peau, ce qui est plus ou moins facile selon la sensibilité de chacun. Certains perdent leurs cheveux, leurs ongles, leurs cils et il y a des séquelles importantes au niveau pulmonaire, gynécologique, au niveau des dents, et surtout au niveau des yeux. Les malades souffrent souvent de sécheresse oculaire parfois très invalidantes, gardent les yeux très rouges, doivent porter des lunettes de soleil tout le temps, peuvent avoir à supporter une photophobie importante, souffrent parfois du fait d’une repousse des cils à l’intérieur de la paupière, enfin certains malades ont des cicatrices douloureuses sur les yeux qui peuvent altérer leur vision. Malheureusement, certains patients deviennent petit à petit aveugles. La vie sociale des malades est donc plus ou moins gravement touchée selon les séquelles. Certains ont du mal à reprendre leur travail ou leurs études pour les plus jeunes et, au mieux, se reconvertissent dans un autre secteur quand ils le peuvent.

Les malades dans l’ensemble se sentent très isolés et c’est la raison première pour laquelle nous avons créé l’association Amalyste en 1999. Il était important que les malades puissent se rencontrer et échanger avec des personnes qui vivent la même chose qu’eux. L’entourage a du mal à comprendre le niveau de douleur que les malades traversent pendant la phase aigüe et parfois très longtemps après cette phase.

Bien entendu, l’association sert également aux malades à partager de l’information sur les traitements existants, sur les spécialistes qui connaissent bien la maladie en France, sur la recherche, les études cliniques quand il y en a.

La maladie est-elle suffisamment connue et bien prise en charge ?

Il y a eu un gros travail sur la reconnaissance du diagnostic dans les services d’urgence en France qui renvoient désormais les cas les plus graves, dès que la maladie est identifiée, vers l’hôpital Henri Mondor à Créteil en Ile-de-France où se trouve le centre de référence de la maladie avec un service de réanimation spécialement dédié. Il y a également une dizaine de correspondants en France qui connaissent les spécificités des syndromes de Lyell et Stevens-Johnson.

Il n’y a, a priori, pas de problème pour la prise en charge de la phase aigüe de la maladie mais, en revanche, la prise en charge des séquelles mérite d’être grandement améliorée, surtout du point de vue des remboursements des soins.

Au sein de l’association, nous nous sommes d’ailleurs beaucoup battus pour que l’Assurance Maladie prenne en charge des lentilles oculaires particulières et dont de nombreux malades ont besoin, que l’on appelle des verres scléraux. Ce sont de grosses lentilles que l’on place sur l’œil et qui reposent non pas sur la cornée, trop sensible pour les supporter, mais sur la partie blanche de l’œil. Nous avons enfin obtenu le remboursement de ces lentilles qui étaient très chères, en 2007, mais les produits nécessaires à leur entretien restent à la charge des patients, tout comme de nombreuses crèmes hydratantes, médicaments ou soins dentaires indispensables et qui sont peu ou ne sont pas pris en charge par l’Assurance Maladie.

Les malades peuvent-ils prétendre à une indemnisation ?

Bien que cela soit effectivement une allergie médicamenteuse dans la plupart des cas, les patients obtiennent très peu d’indemnisation. En 2012, nous avons fait une étude avec le centre de référence et nous nous sommes rendu compte que, depuis la mise en place de l’ONIAM (l’Office national d’Indemnisation des Accidents Médicaux, des Affections iatrogènes et des Infections nosocomiales) en 2002, moins de 30% des victimes de Stevens-Johnson et de Lyell avaient été indemnisées. Malheureusement, une réglementation européenne a commencé à s’appliquer avec une première jurisprudence en 2005, qui précise qu’à partir du moment où le risque est indiqué dans la notice, on ne peut pas réclamer d’indemnisation auprès du laboratoire. En outre, lorsque le risque n’est pas indiqué dans la notice, on ne peut pas faire grand chose non plus, car il n’y a pas de preuve que la réaction soit vraiment liée au médicament suspect.

Évidemment, nous continuons à nous battre pour cela, pour que ce point soit revu et en parallèle nous travaillons à mettre en place un fond d’indemnisation mais c’est également très difficile à obtenir.

Il est donc important pour nous de continuer à militer pour une meilleure prise en charge des soins ophtalmologiques et dentaires qui est véritablement essentielle puisque les yeux et souvent les dents des patients sont très atteints, que leur état se détériorent au fur et à mesure que les années passent, que ce sont des soins extrêmement chers et mal remboursés et que sans indemnisation, remboursement de l’Assurance maladie ou ressources personnelles, il arrive bien entendu que les malades doivent parfois tout simplement se passer de ces soins.

TÉMOIGNAGE D’AUDREY, 47 ANS

En 1998, alors que j’avais 27 ans, pour soigner une angine très banale, mon médecin m’a prescrit des antibiotiques tout à fait courants. Dans les 48 heures qui ont suivi la prise de ces médicaments, ce qui est assez rapide par rapport aux autres patients qui déclenchent cette maladie, j’ai fait une réaction avec une éruption de boutons qui ressemblait au départ à une grosse varicelle avec de la fièvre qui est montée au-dessus de 40°. C’est alors que j’ai décidé de me rendre aux urgences. La phase aigüe a été prise en charge plutôt correctement à Limoges où je vivais, puisque très rapidement, on m’a évacuée par hélicoptère dans un service de grands brûlés à Bordeaux. Mes souvenirs des tout premiers jours sont assez vagues car j’étais dans un état très critique. Je crois que l’équipe soignante a dû me réanimer dans l’hélicoptère. Je me rappelle surtout que j’avais le sentiment que l’on ne me disait pas grand chose sur mon état. Ma peau s’est couverte de cloques qui ont fini par « exploser » pour laisser ma peau à vif. Mon corps a été touché à plus de 70% et je suis restée aux soins intensifs au moins 3 semaines durant lesquelles mon pronostic vital était engagé. Je suis ensuite restée encore une bonne quinzaine de jours à l’hôpital.

En sortant de l’hôpital, les deux séquelles qui m’ont semblé les plus pénibles à supporter étaient d’une part les douleurs puisque mes yeux notamment me brûlaient en permanence et d’autre part les séquelles esthétiques, car j’étais une jeune femme, que je me sentais belle avant la maladie et que lorsque je suis sortie de l’hôpital, je pesais moins de 40 kilos, j’avais la tête rasée, les yeux rouges, mes cils étaient tombés, mes ongles des pieds et des mains ont fini par tomber également et ma peau était très abîmée à cause des brûlures.

J’ai ensuite pris les choses en main pour trouver un ophtalmologiste qui pourrait me dire comment allait se passer la suite. Un professeur à Limoges m’a donné un pronostic alarmant et m’a conseillé d’aller m’acheter une canne blanche. Par chance, mon entourage familial m’a aidée à tenir le coup et j’ai trouvé l’énergie de continuer à vouloir me soigner. Enfin un jour en 2004, sur France Inter, j’ai entendu parler de l’association Amalyste et je les ai contactés. C’est alors que l’on m’a mise sur la voie des verres scléraux, ce qui a changé radicalement ma vie. Grâce aux lentilles sclérales, j’avais moins de douleurs aux yeux, j’ai pu retrouver une acuité visuelle presque normale, regarder à nouveau les gens en face, conduire sur de courts trajets, bref, reprendre une vie sociale. Cela dit, les lentilles sclérales ne résolvent pas tout puisqu’avec les années, l’état de mes yeux évolue et continue de s’altérer.

C’est le cas aussi pour les dents qui m’ont posé beaucoup de problèmes quelques années après le déclenchement de la maladie. On m’a en effet diagnostiqué une parodontie sévère. En fait, comme les gencives ont été brulées, cela a provoqué un déchaussement prématuré des dents.

Par chance, j’ai eu assez d’argent pour régler les dépenses liées aux soins des yeux et des dents. En effet, en 2004 lorsque j’ai bénéficié des lentilles sclérales, celles-ci n’étaient alors pas prises en charge par l’Assurance Maladie et il a fallu que je finance entièrement deux jeux de lentilles, à plus de 1000€ la paire, jusqu’en 2007 où le dispositif a enfin été remboursé par la sécurité sociale. En revanche, les soins dentaires ne sont toujours pas pris en charge, or j’ai pour l’instant déjà perdu quelques dents que j’ai remplacées par des implants pratiquement pas remboursés.

Mon parcours a également été marqué, environ deux ans après l’accident, par le fait que j’ai entamé des démarches pour obtenir une indemnisation. J’ai finalement accepté un arrangement amiable avec le laboratoire, mais je suis tenue au secret. La difficulté pour obtenir une indemnisation est quand même désolante quand on sait le niveau d’invalidité et de souffrance dans lequel nous plonge la maladie. Je me dis que lorsque l’on prend sa voiture, on connaît le risque d’accident et on s’assure pour le couvrir. Je peux comprendre que pour soigner des milliers de personnes, il faille parfois accepter des accidents comme celui que j’ai vécu, mais il me semble qu’au vu de leurs importants bénéfices financiers, les laboratoires devraient s’assurer pour couvrir les risques comme le Lyell et indemniser les patients qui peuvent avoir un accident suite à la prise de leurs médicaments.

Concernant ma vie sociale, à l’époque, j’étais commerciale dans un magasin d’ameublement. À la suite de la maladie, j’ai été arrêtée pendant 2 ans. Puis je n’ai pas repris mon ancien travail et je me suis associée avec mon mari pour monter une agence immobilière mais je n’ai pas tenu le choc et j’ai arrêté au bout d’un an environ. J’étais fatiguée de me justifier constamment auprès des gens et de leur expliquer ce que j’avais aux yeux.

Ce que je trouve catastrophique dans notre maladie, c’est l’isolement médical dans lequel on se trouve. J’ai le sentiment que les médecins ne nous font pas part de leurs recherches, on ne sait rien et, bien évidemment, l’important reste-à-charge financier pour les soins dentaires et oculaires est extrêmement pénalisant. Aujourd’hui je ne suis jamais très enthousiaste à l’idée de prendre des médicaments mais je ne les diabolise pas, ni pour moi, ni pour mes enfants. De toute façon, lorsque je dis à un médecin que j’ai eu un Lyell, il est le premier à raccourcir mes ordonnances de manière drastique. D’ailleurs, récemment, l’un d’eux a même refusé de me vacciner contre le tétanos !

TÉMOIGNAGE D’ANNABELLE

La maladie s’est déclenchée chez moi en février 1983 alors que j’avais 11 ans, suite à une angine pour laquelle j’ai été soignée avec deux types d’antibiotiques puisque mon angine ne passait pas. Finalement, on ne sait pas exactement quel antibiotique a déclenché mon Lyell. Aujourd’hui, j’ai seulement droit à 2 antibiotiques mais de toute façon, je fais en sorte d’en prendre le plus rarement possible car j’ai une phobie des médicaments que je crois avoir malheureusement transmis à ma fille.

A l’époque j’habitais à Montpellier. Notre médecin de famille semblait désemparé face à mes symptômes puisque mon état se détériorait au fil des jours qui passaient et que ma peau commençait à se décoller, notamment à l’intérieur de la bouche, des paumes de mains et de pieds. C’est là que l’on m’a amenée à l’hôpital. Le diagnostic du Lyell a alors été rapide à poser et j’ai été prise en charge à la clinique Saint-Charles à Montpellier. Mon corps a été touché à 100%. J’ai eu la peau entièrement « brûlée ». J’ai perdu tous mes cheveux, tous mes ongles. Mes ongles d’ailleurs n’ont jamais repoussé.

Je suis restée deux bons mois à l’hôpital.

Vu mon jeune âge, je me suis évidemment construite avec les séquelles évolutives de la maladie. En effet, même après la phase aiguë, on peut avoir des poussées inflammatoires. Les séquelles principales concernent les yeux, puisque la maladie a détruit les glandes lacrymales, ce qui altère les yeux au fil du temps. C’est un syndrome sec sévère qui a pour conséquence une gêne parfois insupportable dans les situations où il y a du vent, du soleil, de la chaleur, de la climatisation de la fumée, etc. Au début les médecins se sont focalisés sur mes problèmes oculaires, sans trop se préoccuper des séquelles pulmonaires, gynécologiques ou dentaires par exemple qui ont posé des problèmes plus tard dans ma vie.

Au niveau de la peau, j’avais beaucoup de cicatrices sur le dos qui se sont un peu estompées en grandissant. Aujourd’hui, ce n’est pas flagrant.

En revanche, mon principal combat a été celui pour mes yeux. Dès la sortie de l’hôpital, je souffrais de photophobie intense et j’avais perdu de l’acuité visuelle. En outre mes cils repoussaient mal et certains à l’intérieur de la paupière, ce qui a donné lieu à des opérations.

Quand j’ai repris l’école, on m’a donc mise dans une classe adaptée pour les malvoyants mais cela ne me plaisait pas du tout. En outre, à cause de la chaleur du sud que je supportais mal, nous sommes retournés vivre en région parisienne. Dans un premier temps, j’ai été dans des classes spécialisées puis à nouveau en milieu scolaire ordinaire à partir de la 3ème. J’avais besoin de pouvoir faire comme tout le monde, d’aller dans des écoles classiques même si cela m’obligeait à faire plus d’efforts que mes camarades. Finalement, j’ai obtenu un diplôme de niveau Bac+5 en socio-économie et entamé une thèse mais à ce moment-là, j’ai eu ma fille et perdu dans le même temps la vision de mon œil directeur. J’ai alors changé de voie et repris des études pour devenir kinésithérapeute car c’est un métier adapté aux non-voyants et aux malvoyants.

Aujourd’hui il me reste un léger résidu visuel. Il y a 3 ans, j’ai traversé une phase instable avec des poussées inflammatoires importantes et je m’interroge en ce moment sur le fait de continuer ou non à avoir une activité professionnelle car l’état de ma vision se détériore encore et j’ai des douleurs au niveau des yeux difficiles à supporter. Travailler pour moi est cependant très important car c’est une maladie qui isole déjà beaucoup, dans la mesure où je ne supporte plus le soleil, le vent, la fumée, etc. et je ne voudrais pas risquer de m’isoler encore davantage en cessant de travailler.

Concernant la prise en charge de la maladie, pour ma part, ni mes parents ni moi n’avons cherché à obtenir une indemnisation mais je comprends les patients et les familles qui se battent dans ce sens et je soutiens évidemment les combats pour un meilleur remboursement des soins, notamment les soins oculaires et dentaires qui sont très chers.

Cela reflète un manque de considération global de notre vie de malade. Moi, en tant que kinésithérapeute, je fais en sorte de prendre en compte tout l’environnement de mes patients, les répercussions de leurs maux dans leur quotidien mais j’ai l’impression dans mon cas que les médecins ne prennent pas en compte les conséquences, les douleurs, les difficultés au quotidien après un Lyell et particulièrement les graves problèmes de vue que la maladie peut entrainer.

TÉMOIGNAGE DE DELPHINE, 46 ANS

J’ai déclenché la maladie il y a 11 ans, en prenant de l’ibuprofène pour soigner un mal de tête. J’avais alors 37 ans et j’avais déjà pris ce type de médicaments auparavant. Au bout de 2 ou 3 jours, j’ai commencé à me sentir mal, j’ai eu de la fièvre et j’ai donc consulté un médecin qui m’a conseillé de continuer à prendre de l’ibuprofène pour faire baisser cette fièvre mais comme elle ne passait pas, je suis retournée 2 jours après voir un autre médecin qui a pensé que j’avais une grippe. J’avais alors mal aux yeux et dans la bouche. Ce n’est qu’au bout d’une semaine que j’ai fini par appeler SOS médecin et que l’on m’a envoyée aux urgences, où l’on a enfin compris que j’avais un Lyell et d’où l’on m’a transférée depuis Clermont-Ferrand où j’habitais, en avion sanitaire, à Henri Mondor à Créteil. C’était comme un cataclysme pour mon corps. J’ai été catapultée dans une autre dimension. Je me suis retrouvée branchée partout, j’avais une sonde pour manger, une sonde urinaire, je ne voyais plus rien, je ne pouvais plus bouger, on me donnait de l’oxygène pour mieux respirer, j’ai perdu mes cheveux, mes ongles, mes cils. Il a fallu que je réapprenne à manger, à marcher…. Mon corps a été touché à 25%. Je me souviens que mes paupières ressemblaient à des balles de ping-pong. Mes muqueuses génitales également ont brûlé. Je suis restée un mois en soins intensifs. Ma sœur a d’ailleurs écrit un livre sur ma période d’hospitalisation (Elise Maillard – Les médicaments m’ont tuée chez Albin Michel).

Par la suite, j’ai continué à aller à Henri Mondor en hôpital de jour pendant un an pour un suivi en pneumologie, en gynécologie, en dermatologie, etc. Aujourd’hui les séquelles majeures qui me pèsent le plus concernent mes yeux puisque je deviens progressivement aveugle. Le suivi pour les yeux est vraiment très compliqué car très peu d’ophtalmologistes connaissent cette pathologie. Je me sens très seule face à cela. Je suis suivi au CHU de Rouen qui est le centre ophtalmologique de référence pour les patients qui ont eu un Lyell mais c’est loin de chez moi et je ne peux donc pas y aller très souvent.

Après deux ans d’arrêt suite au déclenchement de la maladie, j’ai repris mon travail en tant qu’ingénieur sanitaire à l’Agence régionale de santé d’Auvergne-Rhône-Alpes. J’ai obtenu le statut de travailleur handicapé et mon poste a été très bien aménagé. Malheureusement, ces derniers temps, ma vue a encore baissé et je suis en arrêt de travail depuis plusieurs mois. On m’a proposé un nouveau traitement mais si je ne sens pas d’amélioration, je crois que je vais cesser de travailler car c’est devenu trop compliqué. En fait, tout est un combat depuis la maladie. D’ailleurs je me suis également battue pour obtenir une indemnisation mais après 8 ans de procédures, elle vient de m’être refusée sous le prétexte que j’ai pris ce médicament en automédication. Je dois dire que je ne comprends pas cet argument. Je n’en veux pas au laboratoire, mais j’en veux au système car je ne me sens vraiment pas soutenue. Le système est violent.

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Retour sur le site de france assos santé